Qu'est-ce que l'hypnose ?
Pour beaucoup de professionnels de la relation d’aide, l'hypnose est synonyme de mystère, voire de magie. Il est dès lors opportun d'en donner une définition précise et de circonscrire son champ d'action. Cet article lève une partie du voile sur cette technique vieille de près d'un siècle, aujourd'hui (re)découverte.
La formation des professionnels du soin est scientifique: elle se veut rationnelle.
La science cherche à objectiver des phénomènes reproductibles, à en déterminer les mécanismes, à les codifier en lois. Ce faisant elle privilégie l'étude des phénomènes conscients par rapport à ceux, plus nébuleux, moins mesurables, de l'inconscient; ceux dont le praticien "sent bien" qu'ils existent mais qui lui glissent entre les doigts. Et la tentation est grande, pour le praticien face à son patient de s'en tenir à des rationalisations, de retourner avec force à ses connaissances médicales, à ses catalogues de diagnostics, de pronostics et de traitements, de recourir à des examens paracliniques complémentaires: il évolue alors, rassuré, dans un domaine connu, acquis lors de ses études universitaires.
Mais il ignore dès lors la face cachée de la réalité de son patient et ampute ainsi, par défaut sa relation, son diagnostic et son traitement. Et combien d'angoisses, de tristesses ou de colères gagneraient à être entendues plutôt que masquées par la prescription de la dernière molécule mise sur le marché... Il y a tant de mal
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Au sortir de ses études, le professionnel soignant est si peu préparé à travailler tout le contenu émotionnel et plus largement inconscient du discours de son patient. C'est là que Milton Erickson débarque...
Pour lui, le mot « conscient» signifie ce dont nous avons conscience et le mot « inconscient » signifie ce dont nous n'avons pas conscience.
A partir de là, il définit l ’hypnose comme un état de conscience particulier qui privilégie le fonctionnement inconscient par rapport au fonctionnement conscient.
L’état hypnotique est un phénomène banal, quotidien. C'est un état dans lequel nous sommes vingt à cinquante fois par jour, sans le savoir. Par exemple, quand "nous sommes ailleurs".
Le patient connaît donc cet état bien avant de consulter le praticien en hypnose!
Le praticien en hypnose ne fait qu'apprendre à son patient à reconnaître l'état hypnotique, à le faciliter, le recréer lui ‑ m ê me, et à l'utiliser à des fins th é rapeutiques.
Les comportements hypnotiques sont involontaires: on ne parvient pas par un effort de volonté à entrer en transe hypnotique ni à favoriser une anesthésie ou une amnésie! Le patient est d'ailleurs surpris, étonné, de constater les changements survenus au cours de son hypnothérapie; lui qui est tellement habitué à analyser ses problèmes, à choisir une solution, à prendre une décision et à faire des efforts pour y parvenir ... !
Ceci nous amène à une métaphore pour comprendre le travail du praticien et de son patient :
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Le cerveau gauche régirait les activités d'éveil. Il serait responsable de l'expression verbale, de notre activité rationnelle, analytique, volontaire; son mode d'action serait focalisé; il serait lié à notre état de tension. En un mot, il serait le siège de notre activité consciente.
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Le cerveau droit se manifesterait surtout pendant le rêve, la rêverie, l'activité artistique. Il serait responsable de notre expression non verbale, de notre activité intuitive et émotionnelle, synthétique, spontanée; son mode d'action serait plus diffus; il favoriserait notre sensation de confort. En un mot, il serait le siège de notre activité inconsciente.
Le travail du praticien en hypnose consistera dès lors à:
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Capter, fixer l'attention du patient,
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Dépotentialiser le cerveau gauche, conscient,
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Activer le fonctionnement inconscient propre au cerveau droit, en état de transe hypnotique.
Ainsi comprise, la relation soignant ‑ patient est une interaction en tre le conscient et l'inconscient du patient d'une part, et le conscient et l'inconscient du praticien d'au tre part. Chacun des deux partici pants fonctionne, au cours de l'en tretien, à la fois sur le mode conscient et sur le mode inconscient dans une proportion, un rapport, le plus souvent inégal et variable.
Le professionnel de la relation d’aide formé à l'hypnose thérapeutique apprend à utiliser le travail inconscient spontané de son client. Il s'agit bien d'un soignant formé: ce soignant doit acquérir un savoir ‑ faire, au cours d'une forma tion sp é cifique. Il ne s'agit en rien d'un don ou d'un pouvoir, comme le pr é tendent les hypnotiseurs de spectacle. Ceux ‑ ci pour exercer leur métier, sélectionnent les sujets les plus réceptifs (il existe des tests simples pour cela) et sur un mode très autoritaire et "magique", prétendent imposer leur volonté à leurs semblables. Dans le domaine thérapeutique, de telles pratiques conduisent à des résultats peu fréquents, symptomatiques et souvent peu durables. De plus, la position d'infériorité, d'obéissance du sujet va à l'encontre même de l'objectif thérapeutique qui est d'autonomiser au maximum le patient.
Quelques caractéristiques de l’hypnose selon Milton Erickson
L’hypnose thérapeutique actuelle, issue des travaux de Milton Erickson, considère l'état hypnotique comme un état de conscience modifié quotidien, banal: le thérapeute n'est là que comme un guide, un professeur qui aide le patient à retrouver cet état qu'il connaît bien, à l'approfondir et à l'utiliser dans l'intention thérapeutique qui est sienne. Pour ce faire, loin d'ordonner au patient ce qu'il a à faire, le thérapeute lui présente un ensemble non limitatif de propositions parmi (ou hors) desquelles le patient choisira de s'orienter: on parlera ainsi d'hypnose permissive. De même, plutôt que d'imposer son modèle de croyances, de ressources, de présupposés, le thérapeute éricksonien tentera au maximum de reconnaître, d'accepter et d'utiliser les matériaux amenés sur ces plans par le patient lui-même: d'où gain de temps, diminution des résistances au changement (elles ‑ m ê mes utilis é es!) et plus grand respect du patient Ce lui ‑ ci se sent davantage accompa gn é : il n'a pas à apprendre le langage du thérapeute puisque celui-ci utilise le sien. C'est l'aspect utilisationnel de la "nouvelle hypnose". Sa troisième caractéristique importante réside dans son indirection: elle recourt volontiers à des suggestions dites indirectes: évocations, associations, métaphores, etc. plutôt qu'aux suggestions directes et autoritaires de l'hypnose classique.
Transe hypnotique
Elle s'accompagne d'un certain nombre de phénomènes que le praticien en hypnose peut utiliser à des fins thérapeutiques.
Ressources
Pour Milton H. Erickson, l'inconscient n'est pas seulement un réservoir de refoulements, de traumatismes et de culpabilité. C’est un grand réservoir de ressources partiellement inexploitées: pour lui, un changement positif est toujours possible. Et le patient sera actif, pendant la séance d'hypnose; sous une apparence de passivité, il fournira un travail inconscient dont témoigneront divers indices non verbaux (qui permettront au thérapeute de suivre ce travail).
Idéo ‑ motricit é
Berheim a longuement décrit cette tendance à la concrétisation motrice de nos idées. Notre Vie de tous les jours en fourmille d'exemples: pensez à la salivation face à un met tentant, aux érections suite aux désirs, etc.
Durant la transe, l'expression verbale est possible et le non ‑ verbal pr é cieux.
Il faut savoir que les réponses données au cours de cette activité inconsciente peuvent être différentes de celles qui sont fournies à l'état conscient Mais il existe d'autres moyens de s'exprimer durant la transe:
Le signaling idéo ‑ moteur per met au patient de r é pondre par des mouvements de la t ê te, des mains ou des doigts plut ô t que par des mots: cette r é ponse id é o ‑ motrice inconsciente serait plus archa ï que, moins manipulable consciemment.
L’écriture automatique est un autre mode de communication idéo ‑ moteur gr â ce auquel le pa tient é crit inconsciemment durant la s é ance.
Le praticien en hypnose entraîné a acquis un sens ‑ aigu de l'observation des indices non verbaux minimum de la communication de tous les jours.
Langage figuratif
Chacun s'accorde à penser que le rêve est une production de l'hémisphère droit, de l'inconscient. Cette voie est ‑ elle à sens unique? Non! Il est possible d'utiliser un langage figuratif d é lib é r é ment vers l'h é misph è re droit dans l'intention de modifier l'image du monde, de la réalité du patient: ces évocations sont à l'origine de l'utilisation de métaphores et anecdotes (celles ‑ ci per mettent de s'adresser à l'incon scient dans son langage, d'o ù effi cacit é accrue), des techniques de saupoudrages et autres modes de communication à plusieurs niveaux.
Littéralité
Il est devenu classique de dire que l'inconscient entend littéralement Par exemple, une personne en état de transe hypnotique à qui l'on poserait la question "Peux ‑ tu me dire l'heure ?" r é pondra "Oui" plut ô t que de vous dire l'heure qu'il est. Si on lui demande "Dans quel é tat es- tu?", elle r é pondra par exemple "En Belgique" (Etat). En r é alit é , il ne s'agit peut ‑ ê tre pas plus d'une compr é hension plus litt é rale, mais simplement d'une compréhension à un autre niveau logique, dans un autre sens du mot "état". On retrouve fréquemment ces changements de niveaux logiques dans l'humour, par exemple.
Que vit une parturiente au cours de la phase d'expulsion, durant son accouchement quand la sage-femme lui crie "Arrêtez de faire l'enfant, poussez!"? Ainsi les praticiens en hypnose ont ‑ ils souvent l'occasion d'entendre de la bouche de leurs patients combien une pe tite phrase, d'allure banale, ano dine, peut p é n é trer dans leur inconscient et y faire la loi longtemps. Il suffit pour cela que la personne reçoive cette phrase à un moment de la vie quotidienne où elle est « ailleurs » (transe spontanée de la vie de tous les jours, imprégnation médicamenteuse, maladie grave, KO, entrée ou sortie d'anesthésie générale, etc.). Les mécanismes de barrages conscients sont alors inopérants! Prenons comme exemple une anxiété, apparue dans le décours d'une opération sous anesthésie générale, laquelle s’est par ailleurs, parfaitement déroulée. Le praticien en hypnose apprendra peut ‑ ê tre, en transe, que l'anesth é siste a dit au chirurgien: "Dans deux heures, ce la sera fini", ce qui, vu l ’é tat de conscience modifi é de la patiente, a pu ê tre entendu par elle litt é rale ment :"Dans deux heures, je serai morte" avec les conséquences que l'on devine!
Comment comprendre et aider cette patiente sans repasser par un état de conscience modifié qui permet de retrouver ce mécanisme et de le traiter?
Cette littéralité peut être délibérément utilisée par le thérapeute qui, par des mots choisis, utilisera une communication à niveaux multiples; a contrario, elle le poussera à utiliser des mots plus simples quant au nombre de sens qu'ils ont pour ne pas évoquer involontairement un sens inapproprié.
Dissociation
Chacun de nous s'est déjà retrouvé au cinéma, pris par l'ambiance, au point d'oublier qu'il se trouve dans telle salle de telle ville, tout occupé qu'il est à vivre intensément le film auquel il assiste (auquel il participe, pourrait ‑ on dire). Son corps est ici, mais son esprit est ailleurs. Dans bien d'autres circonstances (distraction, r ê verie, longs trajets en train, en m é tro, sur l'autoroute), nous gardons suffisamment de fonctionnement conscient pour que tout se passe bien, mais l'essentiel de notre activité mentale est "ailleurs ". Nous sommes dissociés.
Durant la transe hypnotique, le patient est dissocié du contexte : les bruits du cabinet ou de la rue, par exemple, ne l'intéressent plus. Le thérapeute utilisera cet état de dissociation pour travailler le souvenir d'un traumatisme, *pour anticiper les situations phobogènes, etc… sans que cela affecte émotionnellement le patient en transe, comme si ce contexte A non plus ne pouvait le perturber
Catalepsie
On dit traditionnellement que la catalepsie (d'un bras, par exemple) est un phénomène caractéristique de l'état de transe. Pour Milton Erickson, la catalepsie est «une forme de tonicité musculaire particulièrement bien adaptée". Notre tête, par exemple, bénéficie de ce tonus particulier des muscles du cou. Ceux qui ont subi un traumatisme cervical et éprouvent des difficultés à "tenir leur tête" en savent quelque chose. Erickson utilisait volontiers cette catalepsie pour faciliter l'entrée en transe (dans sa célèbre "shake-hand induction", par exemple). C’est confusionnant et intrigant à la fois pour le patient d'observer ainsi l'un de ses membres réagir de façon inattendue au niveau du tonus musculaire.
Mémoire
Notre inconscient est le siège d'une majorité d'informations mémorisées. C'est un peu notre disque dur: il contient la plupart de nos informations, accessibles seulement par le biais d'une technique appropriée. Alors que notre disquette (souple) contient les informations immédiatement disponibles, bien moins nombreuses.
En utilisant ce "disque dur" le praticien en hypnose peut pratiquer une régression en âge, permettant de travailler d'anciens traumas, connus ou amnésiés. Il peut également favoriser l'amnésie de la séance ou d'une partie de celle ‑ ci: l'apprentissage nouveau peut ainsi rester inconscient sans ê tre limit é par le conscient Il peut aussi utili ser les suggestions post ‑ hypnoti ques, suggestions donn é es pen dant la transe pour s'accomplir plus tard.
Perception du temps
La durée subjective d'une transe spontanée ou d'une séance d'hypnothérapie peut être fort différente de sa durée réelle. Cette distorsion du temps peut être mise à profit sur le plan thérapeutique pour diminuer la durée subjective des douleurs paroxystiques et augmenter la durée subjective des intervalles entre les crises. La pseudo ‑ orientation dans le temps est une projection dans le futur o ù le patient peut se voir gu é ri et imaginer ainsi les cons é quences de ce changement sur tous les plans.
Perceptions sensorielles
La transe hypnotique peut faire apparaître, disparaître ou modifier les perceptions sensorielles.
L’hallucination dite positive correspond à la définition classique de l'hallucination : perception sans objet.
Ainsi, au cours de l'induction de l'état d'hypnose, le thérapeute suggère ‑ t ‑ il des per ceptions (chaleur, fra î cheur, lour deur, l é g è ret é , fourmillements, etc...). Certaines techniques utilisées dans le traitement de maladies psychosomatiques prennent racine dans ce type de travail.
L’hallucination dite négative est au contraire, la non ‑ perception d'un stimulus r é el. Ses techniques se ront utilisées en vue d'obtenir l'analgésie et l'anesthésie.
Les modifications des perceptions consisteront par exemple à déplacer une douleur, un prurit ou une sensation d'inconfort loin de son point de départ.
Les différentes utilisations de ces phénomènes peuvent servir autant à ratifier la transe qu'à des fins plus directement thérapeutiques.
En conclusion, l e professionnel de la relation d’aide qui se forme à l'hypnose thérapeutique éricksonienne :
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S’initie à la communication hypnotique : indices minimaux du langage non verbal, communication à niveaux multiples, métaphores, thérapie stratégique, moyens de communication spécifiques, etc. Il apprend à communiquer comme partie prenante d'une interaction à quatre composantes: deux conscients et deux inconscients
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Apprend à travailler avec (et non contre) les résistances, celles ‑ ci n'étant qu'un matériau comme un autre amené par le patient à l'édifice thérapeutique.
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Découvre que la confusion peut être utile à dépotentialiser le cerveau gauche, favorisant ainsi l’activité inconsciente, cerveau droit;
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Reconnaît et utilise la transe spontanée de son patient en cours de consultation et avec un peu d'entraînement, utilise l'hypnose conversationnelle. Ce qui m'amène à dire qu'il peut être utile d'étudier l'hypnose thérapeutique même sans jamais utiliser l'hypnose formelle, ritualisée.